jeudi 22 décembre 2011

En Crimée

 La Grèce? La Turquie? Vous n'y êtes pas, c'est la Crimée que ce bus brinquebalant traverse péniblement par des routes cahotantes, nous emportant dans un tourbillon d'histoire, de civilisation, de coutumes. Port-Crimée et son homologue russe, Port-Kavkaz, semblent se lancer un éternel défi, allongeant leur museau à se toucher. Une ligne imaginaire presque sensible, tirée entre ceux-ci sépare la mer d'Azov de la mer Noire.
De là, une route s'élance à travers ce bout de terre suspendu à l'Ukraine tel un oeuf prêt à s'en détacher. Kerch, en est le point de départ. Jusqu'à Féodocia une nature presque vierge s'étend à perte de vue: des steppes sèches et arides parsemées d'oliviers et de peupliers. Puis soudain, à la sortie d'un virage, nous sommes violemment projetés sur une étendue infinie, plate, d'une irréelle blancheur scintillante sous ce magnifique clair de lune: la mer.
Tout le long d'un littoral ombragé, des maisons blanches, tranquillement assises dans leur jardin respirent le repos qu'elles procurent à des milliers de Russes ou d'Ukrainiens fortunés. Ils viennent y puiser des vertus bienfaisantes pour affronter les rigueurs de leur climat continental ou soigner toutes sortes de maladies.
Il faudra continuer courageusement dans ce terrible bus et se séparer de la mer pour atteindre Simféropol et découvrir à ses côtés des trésors d'une civilisation à la fois tartare et orthodoxe. Bakchisarai est ce petit village merveilleux d'une autre époque. D'une minuscule gare où un train électrique dépose quelques passagers, un bus relie le village moderne à l'ancien. Ce dernier est encore habité, et c'est là qu'au bord d'une ruelle se dresse un palais Khan. Témoin d'une grandeur passée, il nous transporte quelques siècles en arrière: chaque pièce nous retrace la vie de ces princes Khans avec ces sols couverts de tapis multicolors, bordés de divans, de tables basses en bois sculté. De salle en salle, de longs corridors pavés de mosaïques nous conduisent par des péristyles où coulent de précieuses fontaines. L'ameublement rayonne d'art, de richesse et d'opulence. Toutefois continuons notre route, un peu plus loin, un peu plus haut vers les falaises qui nous dominent. D'impressionnants rochers aux formes étranges cachent un monastère orthodoxe que seule une route abrupte et non carrossable permet d'atteindre. Il est actuellement en restauration et bientôt des moines viendront y vivre leur retraite. Des marches creusées à même la roche nous font pénétrer dans un religieux silence troglodytique, mais extérieurement ce monastère n'est repérable que par les nombreuses manifestations qui s'y déroulent. En effet, tout renouveau spirituel attire les foules en quête de pélerinages et de bénédictions abondamment arrosées!
Montons toujours plus haut pour décrouvrir un antique village qui a ceci de particulier que bien qu'étant troglodyte, il a une partie de ses habitations qui sont construites au-dessus, en haut des falaises, au grand jour. Nous y pénétrons par une imposante porte voûtée en pierre. Un mur d'enceinte révèle son rôle de forteresse qu'il jouait contre les invasions tartares. Les habitations troglodytes ne sont plus que des grottes vides mais ont gardés leur organisation; par contre, au sommet, parmi les maisons, l'école a résisté au temps et dans la cour quelques personnes méditent, posées ça et là dans toutes sortes de positions fixes... Vous pourrez alors vous joindre à eux ou tout simplement aller vous remplir les yeux d'une vue merveilleuse sur la Crimée et rêver aux cosaques parcourant ces plaines sur leurs chevaux filant plus vite que Pégase!